Tout l’écosystème de la montagne a été impacté par la pandémie que nous traversons. Si la crise a chamboulé les prévisions des saisons hivernales en 2020 et 2021, elle a surtout mis en évidence les faiblesses de notre modèle actuel. Différemment accompagnés, tous les acteurs attendent aujourd’hui un rebond et un vrai plan de relance. Cependant, indépendamment de cette situation exceptionnelle, on constate qu’il serait nécessaire de revoir en profondeur le modèle économique des territoires de montagne dont les axes de développement n’ont jamais réellement évolué depuis les années 1960 et leur “plan neige”.
Une nécessaire transformation du modèle économique
L’Or Blanc est miraculeusement tombé pendant des années grâce au climat alpin… Pendant des décennies, les différents acteurs se sont structurés pour gérer cette opportunité tombée du ciel en espérant que celle-ci soit récurrente et infinie. Les efforts pour dégager des recettes sur les territoires concernés étaient cependant minimes. Mais aujourd’hui, les chutes de neige diminuent, le marché des sports d’hiver est devenu mature et les pratiquants ont banalisé leur relation aux sports de glisse. Cette situation nous oblige à repenser le modèle économique pour le rendre moins dépendant des aléas climatiques.
L’enjeu majeur actuel est d’accompagner la diversification économique et touristique des communes de montagne, de TOUS les territoires de montagne et pas uniquement les stations de sport d’hiver. Cela est d’autant plus nécessaire que ce sont les territoires de moyenne altitude qui sont le plus impactés par le manque de neige. Et la crise sanitaire a mis en exergue cette dépendance au ski pour la majorité des acteurs…
Ainsi, les politiques à venir doivent se tourner vers d’autres pratiques complémentaires pour créer une offre élargie, contribuant à l’attractivité du tourisme hivernal. Toutefois pour réellement pérenniser le modèle économique montagnard, il faudrait réétudier le fonctionnement annuel de ces territoires. Si le terme “4 saisons” est aujourd’hui politisé et souvent utilisé à tort et à travers, la recherche d’offres structurées sur l’ensemble de l’année permettrait cette transformation systémique indispensable dans les décennies à venir.
La montagne reste un lieu d’exception, notamment avec ses espaces naturels propices à la contemplation et au bien-être. La qualité de vie dans ces territoires reste un atout majeur, qui ne saurait se suffire à elle-même si les aménagements tels que les luges d’été ou autres pistes de VTT viennent grignoter son capital d’environnement préservé.
De plus, le modèle français s’est construit sur l’accueil massif de flux touristiques et avec lui le développement de l’immobilier. La conséquence de cette stratégie de construction basée sur l’investissement de propriétaires individuels se traduit par l’explosion du nombre de lits froids (lits utilisés moins de 3 semaines par an). Malgré le fait que les études officielles font état de 50% de lits froids en stations, on continue de construire de nouveaux hébergements en montagne sur l’ensemble du territoire, quitte à laisser se développer des friches.
Cette situation est d’autant plus alarmante que la France est passée au 3ème rang mondial en nombre de journées de ski, alors même que nous avons les forfaits parmi les moins chers au monde et une capacité d’hébergement beaucoup plus importante que nos voisins (autrichiens notamment). En effet, aucune station ne réalise 100% de remplissage en raison de ces fameux lits froids : cela signifie qu’il y a toujours des lits disponibles et donc une perte d’attractivité. Il serait donc temps de repenser une offre plus adaptée à l’évolution des exigences des visiteurs et construire des stratégies de conquête de nouveaux pratiquants en arrêtant de capitaliser sur des volumes de clients qui n’existent pas.
Développement des stations dans un contexte de préservation de l’environnement
Le changement climatique se matérialise sur les territoires montagnards par des changements très concrets : recul des glaciers, rareté de la neige, pluie abondante en hiver malgré l’altitude… L’environnement n’est plus en adéquation avec les installations et les pratiques humaines et les projections climatiques dans les années à venir vont également dans ce sens… À terme, toutes les zones de montagne subiront les effets des changements climatiques. Si l’offre ski a encore de belles années devant elle, cela n’est pas sans efforts technologiques, parfois même contre-productifs pour l’environnement. La livraison de neige par hélicoptère dans les Pyrénées l’hiver dernier a choqué le grand public, mais cela n’a fait que montrer une pratique courante : le transport de neige par camions entiers.
Ce constat fait écho aux mesures prises en faveur de la neutralité carbone, trop souvent déconnectées de la réalité du terrain et des postes d’émission de gaz à effet de serre. Intervenir sur le seul périmètre des domaines skiables exclut totalement les deux plus gros postes d’émissions que sont le transport et le logement. En effet, les remontées mécaniques ne représentent que 2% des émissions de gaz à effet de serre. Depuis, “le plan Avenir Montagnes” du gouvernement Castex consacre un de ses trois volets à l’immobilier et notamment l’éternelle problématique des lits froids évoqués plus haut. Il reste à espérer ici qu’il ne s’agisse pas une fois de plus de lignes directrices sans action derrière.
Une autre problématique majeure concerne la scène politique de ces territoires. On retrouve aujourd’hui à la tête des stations des élus dont les stratégies sont concentrées sur la durée de leurs mandats ou des actions pouvant sauver le modèle actuel. Il en est de même pour les gestionnaires de remontées mécaniques, qui sont dépendants du maintien ou non de leur contrat de travail, et donc moins portés sur des projets à long-terme pour le territoire. De ce fait, les perspectives prenant en compte le dérèglement climatique ont beaucoup de mal à être considérées.
En somme, la crise du Covid peut être un accélérateur de la transition d’une montagne française déjà en attente de changements. Il est aujourd’hui de notre devoir de faire évoluer le modèle économique de nos territoires montagnards, mais pour ce faire, il me paraît indispensable de modifier nos habitudes pour se diriger vers des stratégies plus ciblées en adéquation avec les défis à relever. Pour aller plus loin dans la réflexion, le dernier documentaire de Patagonia, Vanishing Lines, met en avant la nécessité absolue de préserver ce qui peut encore l’être.